« Coopération », c’est en quelle année ?
« Coopération » c’est en 1982, quand je suis allé voir les parents à Kinshasa, en revenant de Côte d’Ivoire. Franco me dit : « écoute Sam, je ne peux pas te laisser partir d’ici si on ne fait pas quelque chose : les gens veulent nous retrouver dans une œuvre. » J’ai dit : « mais j’ai pas le temps, entre les amis à aller voir, les affaires de famille à gérer… » Franco : « trouve quelque chose. » Et chaque fois qu’on se rencontrait, il me disait : « alors Sam, et les chansons ? » Et moi : « pas encore. » « Bon, viens quand même aux répétitions. »
Chez 1, 2, 3 (le club de Franco), on répétait sur le podium : tout était carrelé, parce que Franco ne faisait pas les choses à moitié : avec lui, il faut que tout soit clean, que tout soit bien présenté… Je me rappelle, quand on voyait la guitare de Franco, vieille de 5, 7, 8 ans, 10 ans, on aurait dit qu’elle sortait du magasin. Ce jour-là, il a commandé de la viande de chèvre, du tabac, du vin, de la bière, tout ça là, et j’ai commencé à fredonner. C’était « Coopération ». (Sam chante : Tembe zali mabe minghi ô…)
Franco : « mais Sam, c’est ça la chanson ! Simaro, laisse tomber ta guitare, dis au comptable de me réserver deux dates au studio Télé Star. » Et moi : « non je suis un peu cassé, je suis enrhumé… » Franco : « Simaro, tu réserves deux dates pour Sam. Qu’il soit enrhumé ou quoi, il va chanter ! C’est du Sam Mangwana, on va vendre ça ! »
Sam, qu’est-ce que c’était, l’esprit de la chanson ?
Franco m’avait dit : « écoute, il faut quand même qu’on leur cloue le bec, les gens qui ont raconté des trucs, des insanités sur toi… » Dans le refrain je dis : défier quelqu’un pour rien, c’est pas bon. Je termine le refrain en citant « Ondongo », c’était le nom d’un ami qui travaillait à Air Afrique (que Sam prend à témoin, NDLR).
Et Franco dans la chanson dit : « Mangwana, viens, qu’on embellisse ce travail qui nous honore ; que les gens dansent, que le public danse, laisse tomber les on-dit, on les connaît tellement ici au Congo, en Afrique, et même en Europe… c’est toujours les mêmes racontars. Viens qu’on fasse la musique zaïroise qui fait danser le monde entier. » Et puis là on reprend le refrain et moi j’entonne : « D’ailleurs moi Franco, je ne m’occupe jamais de cela. Ils peuvent bien raconter tout ce qu’ils veulent, moi, mon travail, c’est la musique. Mangwana et l’OK Jazz, c’est comme un jeu qui fait plaisir aux gens donc je ne lâcherai jamais le morceau jusqu’à ce que nous relevions le drapeau de la musique congolaise. » Voilà, c’était un défi contre les racontars.
Et tout était écrit ? Parce que Franco, souvent, improvisait les paroles…
C’est tout de l’improvisation. Dès qu’on se regarde, on enclenche le thème et chacun improvise par rapport au thème, c’est ça l’ambiance de cette musique-là.
Donc vous arrivez au studio, Télé star ?
D’abord on a répété, « Coopération » et d’autres chansons. Puis on arrive au studio pour « larguer » le répertoire en question. Mais on n’avait pas parlé de la suite, comment ce disque allait sortir, les royalties et tout ça… « Mais Sam, c’est simple, dit Franco, toi tu vas vendre à Abidjan, moi je prends le Congo et le monde entier. Tu payes pas les musiciens, je vais te donner ta bande pour aller… »
Donc tu enregistres « Coopération » avec Franco, et tu repars à Abidjan avec ta bande sous le bras ?
Non. Franco est parti en Belgique et moi, j’étais invité au Cameroun, à Yaoundé, Douala, Ngaoundéré et Garoua… je suis parti avec Empopo et les Bobongo star, un orchestre qui jouait dans une boîte qui s’appelait Bobongo et qui m’avait accompagné pendant mes galas, et qui sont partis avec moi au Cameroun pour cette tournée. C’est quand j’étais là-bas que Franco, parti finaliser l’album à Bruxelles, m’a envoyé mes 2000 disques à Yaoundé et c’est là où j’ai vendu ma partie. En tout cas, ce disque a fait beaucoup de jaloux, à cause de la posture sur la photo… Tu vois, cette posture-là.
Ah oui, c’est vrai qu’on dirait que vous faites un bisou bisou. Elle a été faite quand cette photo ?
Elle a été faite justement en 1982, quand je suis revenu au Zaïre. Quand je suis arrivé, Franco a envoyé son comptable et Manzenza, le manager de l’OK Jazz, à l’hôtel Memling où je logeais. Ils sont passés à la caisse pour demander ma situation, et on leur a répondu que j’avais payé pour quinze jours. Il montre sa carte au gars de l’hôtel : « moi je suis monsieur Manzenza, ça c’est notre comptable, donc si Sam Mangwana a payé en espèces, c’est son argent que vous allez rembourser et c’est Franco qui paye tout le reste : c’est combien ? » Et ils ont fait le chèque.
Un peu plus tard, je sors de l’hôtel, et voilà qu’on m’appelle : « Monsieur Mangwana ! » C’était un des responsables de l’hôtel, un Belge. « Monsieur Mangwana, vous êtes invités par l’OK Jazz ! » Je lui dis « Oui, l’OK Jazz fête un anniversaire, demain, et je suis invité. » « Mais il n’y a pas que ça, j’ai une enveloppe pour vous. » J’ai dit : « quoi ? » « Parce que Franco a tout payé, et voilà, on vous rembourse ce que vous avez donné comme avance. » Franco aimait faire les surprises comme ça.
Le lendemain j’arrive à la soirée, et dès que j’arrive, Franco m’annonce : « l’enfant de l’Afrique, le panafricain ! » C’est lui qui a commencé à m’appeler l’« international Sam Mangwana ». Sam Mangwana à l’anniversaire de l’OK Jazz et tout ça… alors je monte sur le podium et c’est là que je l’ai embrassé. C’est cette photo-là. En 82.
Sur le podium je glisse à Franco : « grand frère, je viens de voyager, je suis fatigué… » « Mais c’est décevant, dit Franco, dis-le toi-même au public. » Je prends le micro et je dis : « Merci beaucoup pour l’honneur, l’OK Jazz c’est ma maison, c’est ma famille. Mais remarquez que je viens de loin, je suis un peu fatigué, je ne peux pas vous donner une voix comme ça, parce que je vous respecte beaucoup. »
Et j’ai quitté le podium. Bon, ils m’ont donné une table d’honneur, on a blagué, on s’est amusé. Ils ont terminé de jouer, et Simaro après est venu me dire : Ah Sam, tu sais que Franco est déçu, il est très déçu. Et après deux jours je vois Manzenza qui vient à l’hôtel, il dit : « ton type (Franco) dit que vous devez manger aujourd’hui chez lui. » C’était au restaurant, il avait un restaurant select à 1, 2, 3. C’est là justement que Franco dit : « Mais Sam, tu peux pas repartir d’ici sans qu’on fasse quelque chose… » On a fait « Coopération », ils ont choisi cette photo.
Cet article fait partie de la série Sam Mangwana, roman d’une vie.